La guerre en Ukraine place désormais le Sénégal dans une position stratégique. La fermeture du robinet de gaz par la Russie aux pays européens confronte ces derniers à une fluctuation portée vers la hausse continue des prix des hydrocarbures qui affecte gravement leurs économies. Une opportunité que le Sénégal par l’exploitation de son gisement de pétrole et de gaz.
L’agitation est grande ces dernières années. Des interrogations surgissent, des espoirs se manifestent. Des réserves importantes de pétrole et de gaz ont été découvertes au Sénégal à partir de 2013-2014. Après quelques atermoiements, l’exploitation du pétrole devrait débuter en 2023 et celle du gaz l’année suivante. Les attentes sont énormes, les enjeux multiples. Les autorités sénégalaises misent sur les retombées financières des hydrocarbures pour faire décoller le Sénégal à l’horizon 2035.
D’importantes découvertes pour faire du Sénégal une place stratégique
La politique de prospection pétrolière a débuté dès l’accession à l’indépendance. Les résultats étaient plutôt mitigés dans les premières années. Au départ, les gisements n’intéressaient que des compagnies juniors anglo-saxonnes, mais de plus en plus de majors souhaitent investir au pays de la Téranga. Dans les années 1980-1990, il y avait quelques découvertes prometteuses au Sud en Casamance, à cheval entre le Sénégal et la Guinée-Bissau qui concernaient le pétrole lourd difficilement exploitables à l’époque, ainsi que des réserves de pétrole et de gaz en quantité mineure au large des côtes du Cap-Vert (Dakar). Au début des années 2000, changement de cap, l’Etat met davantage de moyens pour attirer les juniors compagnies. Le Sénégal, en raison de découvertes majeures dans la région, en Mauritanie notamment, est alors convaincu de disposer d’un énorme potentiel et passe à l’offensive. Les responsables du secteur, mènent plusieurs roadshows (dispositif événementiel qui se présente sous la forme d’une tournée promotionnelle afin que les commerciaux puissent être directement en contact avec les clients et distributeurs) à travers le monde pour convaincre les compagnies d’exploration, surtout les juniors plus enclins à prendre des risques, de venir investir dans le pays. Des multinationales s’engagent ainsi, plus que par le passé, dans la recherche. A partir de 2013-2014 les premiers bons résultats commencent à tomber. Plusieurs compagnies annoncent des découvertes majeures d’hydrocarbures. En effet, l’américain Kosmos Energy, découvre un mégagisement de gaz sur le socle sénégalo-mauritanien de Grand-Tortue, tandis que le britannique Cairn Energy, annonce des ressources pétrolières de Sangomar Profond et les sites de Rufisque Offshore et de Sangomar Offshore. Ces perspectives heureuses ont conduit les majors compagnies à s’intéresser de près au Sénégal. Ainsi, en 2016 le britannique BP s’est associé à Kosmos pour le développement de Grand-Tortue et le français Total a investi en 2017 le champ Rufisque Offshore Profond (ROP). Au même moment, le chinois CNOOC s’octroyait le permis AGC Profond, à cheval sur les eaux sénégalaises et bissau-guinéennes. Les réserves à Grand-Tortue, en partage avec la Mauritanie sont estimées 700 milliards de mètres cubes de gaz, le plus important gisement d’Afrique de l’Ouest
Avec ces importantes découvertes de gisements de gaz et de pétrole, le Sénégal se met à rêver en grand. En grand pays producteur et en grand pays émergent. Le contexte mondial incite les dirigeants sénégalais à multiplier les initiatives en direction des investisseurs privés nationaux, mais surtout vers les capitaux étrangers. Plusieurs Etats ont approché le gouvernement pour assurer leur approvisionnement. La guerre en Ukraine place le Sénégal dans une position stratégique. La fermeture du robinet de gaz par la Russie aux pays européens confronte ces derniers à une fluctuation portée vers la hausse continue des prix des hydrocarbures qui affecte gravement leurs économies. Pour s’affranchir de la dépendance au gaz russe, des alternatives s’imposent au risque de voir l’ensemble de l’Europe sombrer dans une profonde crise. En mai dernier, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu en Dakar, en compagnie d’une importante délégation du secteur privé. Plusieurs thématiques étaient à l’ordre du jour, de la nécessité de nouer de nouveaux partenariats sur le plan économique, aux questions de sécurité, en passant par l’investissement et le commerce, les relations diplomatiques, etc. Mais le point focal des discussions avec le président Macky Sall résidait dans le domaine énergétique. En marge de l’inauguration de la centrale photovoltaïque de Diass à 67 km de Dakar, fruit de la coopération sénégalo-allemande d’un coût de 20 millions d’euros, le Président Sall a assuré au Chancelier que le Sénégal était disposé à approvisionner l’Allemagne et l’Europe de manière générale, en gaz pour substituer le gaz russe. Quant à Olaf Scholz, il a clairement indiqué que l’Allemagne considérait l’énergie, le gaz naturel en particulier, comme un élément de premier plan des futures relations entre l’Europe et l’Afrique.
Des recettes certes élevées, mais à relativiser dans le contexte global
Selon le gouvernement sénégalais, l’exploitation des hydrocarbures provenant des gisements gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et pétrolier de Sangomar devrait rapporter 887,68 milliards FCFA de recettes à l’Etat sur la période 2023-2025. En effet, d’après le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP) publié par le ministère des Finances et du budget en juin dernier, l’Etat engrangera 59,16 milliards FCFA en 2023 au démarrage de l’exploitation, un revenu qui devrait augmenter à 327,28 milliards FCFA en 2024 puis à 501,24 milliards FCFA en 2025. L’exploitation de tous les champs pétroliers et gaziers en plein régime, devrait rapporter au Sénégal 700 milliards de francs CFA par an. Cette manne est significative pour le budget du Sénégal, mais constitue néanmoins une part moins importante que les rentrées fiscales ou encore les transferts d’argent de la diaspora. Les transferts d’argent des Sénégalais de l’extérieur représentaient selon la Banque 2,7 milliards de dollars en 2021. Les transferts de fonds de la diaspora représentent environ 10,5 % du PIB national. Ils bénéficient à environ 25 % des ménages, particulièrement ruraux. Selon le Ministre des Finances, la loi de finances rectificative pour l’année 2022 a été arrêtée à 5 556,7 milliards FCFA. Le gouvernement table par ailleurs pour 2024 sur un budget de plus de 6 000 milliards FCFA. A ce propos, un rapport intitulé « La gestion des revenus pétroliers et gaziers du Sénégal » du Natural Resource Governance Institute (NRGI) publié en décembre dernier, estime que les recettes issues de la commercialisation de ces combustibles représenteront en moyenne 1,5 % du PIB ou 6 % de l’ensemble des recettes publiques pendant 25 ans. Selon cet institut dont la vocation est de promouvoir l’amélioration de la gestion des ressources naturelles dans le monde, ces recettes, bien qu’importantes, sont insuffisantes pour transformer durablement l’économie sénégalaise. Toutefois, d’après le NRGI, si les entrées issues de l’exploitation des hydrocarbures sont bien gérées, elles pourraient améliorer sensiblement le niveau de vie de la population. Il préconise entre autres propositions, à se concentrer sur la compensation des impacts négatifs de la production, à travers les plans de gestion environnementale et sociale des projets, au lieu de partager une partie des revenus avec les collectivités locales des zones de production, notamment les communautés comme annoncé par le gouvernement.
Investir dans la formation pour relever le défi du développement
Cet engouement sur les retombées de l’exploitation des hydrocarbures suscite la réflexion autour de la qualité des ressources humaines. L’un des problèmes majeurs du continent réside à dans l’incapacité technique à transformer ses matières premières. Ce qui le rend dépendant de l’expertise étrangère, entrainant des pertes importantes de revenus rapatriés dans les pays qui proposent leurs services. Pour assurer une bonne politique de contenu local, le gouvernement accorde une place primordiale à la formation. Les ministères de l’Enseignement supérieur, de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, en collaboration avec l’Institut français du pétrole (IFP) et certaines compagnies présentes au Sénégal, ont mis sur pied un institut de formation préparant aux métiers des hydrocarbures. C’est ainsi que l’État du Sénégal a mis en place, par un décret en date du 27 décembre 2017, l’Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG), afin de développer l’expertise nationale et de favoriser l’emploi des sénégalais et sénégalaises dans les secteurs pétrolier et gazier. Sa mission est de former des ingénieurs, techniciens et opérateurs dans les métiers du pétrole et du gaz. Sur le plan de la compétitivité, la formation d’ingénieurs et de techniciens devrait rendre possible la production d’électricité à partir du gaz local, permettant d’abaisser les tarifs qui demeurent parmi les plus élevés en Afrique de l’Ouest. Le Sénégal tient son avenir entre ses mains. C’est un pays stable, loin des turbulences politiques et électorales. La montée du terrorisme qui secoue la bande sahélo-saharienne l’a jusqu’ici épargné et il n’existe aucune raison valable pour que le Sénégal soit contaminé. Grâce à la vigilance de ses forces de défense et de sécurité, les frontières sont bien gardées. Sur le plan social, la religion et les traditions (cousinage à plaisanterie) constituent un ciment. La malédiction du pétrole (ou des matières premières de manière globale) qui touche certains Etats africains jusque dans leur survie, devrait épargner le Sénégal. Ses dirigeants devraient toutefois éviter les démons de la division, notamment sur le plan politique et garantir les acquis démocratiques par le respect de la pluralité et l’organisation d’élections libres et transparentes. Ne pas s’enfermer dans le discours quelque fois entendu, que les politiques qui ont « découvert » le pétrole devront forcément le gérer. Dans une démocratie, les alternances constituent une avancée qui doit renforcer le pays sur les autres plans. Pour une bonne gestion des ressources, l’adhésion du Sénégal à l’Initiative pour la transparence dans les industries (ITIE) est une démarche salutaire qui devrait aux populations d’espérer des lendemains meilleurs.