En conseil des ministres du 2 février dernier, le Président de la République, Macky Sall annonçait la tenue des élections législatives le dimanche 31 juillet, soit tout juste 5 ans après les précédentes. Contrairement à l’organisation des élections territoriales (municipales et départementales) qui a accusé deux ans de retard, le gouvernement respecte le calendrier républicain, en tenant les élections législatives à date échue. Cette élection des députés reste cruciale pour l’avenir du Sénégal de ces prochaines années. Elle comporte plusieurs enjeux, aussi bien pour le camp du pouvoir que pour l’opposition.
Les élections du 23 janvier avaient sonné la mobilisation de l’opposition qui avait réussi à former trois fortes coalitions à l’assaut des communes et départements. L’opposition sous la bannière de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW, Libérer le Peuple) avait remporté Dakar, Guédiawaye, Rufisque, dans la région de Dakar, mais aussi, Thiès et Ziguinchor. Ces deux dernières villes constituent des victoires à haute portée symbolique. Thiès était depuis le début des années 2000, depuis les élections locales de 2002 en particulier, la chasse-gardée de Idrissa Seck qui y a remporté toutes les élections organisées depuis lors (présidentielle de 2007, de 2012 et de 2019, mais aussi législatives et locales). Idrissa Seck, devenu nouvel allié stratégique de Macky Sall se devait de montrer son poids dans son fief historique. La coalition de Benno Bokk Yakaar (BBY au pouvoir) a été supplantée par YAW dirigée dans la ville par Dr Babacar Diop nouvel tribun de landerneau politique sénégalais.
A Ziguinchor, Ousmane Sonko, un des grands leaders de YAW, avec Khalifa Sall, Aida Mbodj, Moustapha Guirassy et Malick Gakou, était très attendu. Suite à ses démêlées judiciaires à propos de son accusation de viol qu’il nie et considère comme un complot pour l’écarter de la course à la prochaine présidentielle, la question était de savoir s’il était toujours aussi populaire après sa remarquable percée lors de la présidentielle de 2019, avec plus de 15% des voies. Ousmane Sonko a laminé ses adversaires sur un terrain conquis où ses adversaires avaient peu de chances.
En plus de ces villes symboles et stratégiques, la coalition présidentielle a perdu Kaolack, remporté par l’homme d’affaires Serigne Mboup et sa coalition And Nawle. Cette coalition a fait de bons scores sur l’ensemble du territoire national et se présente comme un interlocuteur de premier plan pour les prochaines échéances électorales. Etant cataloguée sous le sceau « indépendant », elle est draguée aussi bien par le camp présidentiel que par l’opposition, d’autant plus que Kaolack constitue un enjeu politique et électoral important.
L’autre grande coalition de l’opposition, Wallu Senegaal, avec en tête de fil le Parti démocratique sénégalais (PDS) de l’ancien Président Abdoulaye Wade a connu un net recul sur l’ensemble du territoire national. Elle a néanmoins réussi à gagner la commune et le département de Diourbel et a fortement résisté à Pikine (ville de l’agglomération dakaroise). Toutefois, ses résultats en baisse constante depuis la chute du PDS en 2012, remettent en question son avenir qui repose toujours sur Abdoulaye Wade et son fils Karim, exilé au Qatar, et toujours en attende d’une amnistie de Macky Sall pour pouvoir se présenter à des élections en raison de sa condamnation par la justice sénégalaise.
Des législatives à haut risque pour Macky Sall
Le camp présidentiel relativise la défaite aux territoriales et indique qu’elle a remporté la majorité des collectivités territoriales, estimant que les collectivités sont d’égale dignité, et par conséquent, on ne saurait prétendre qu’il y aurait des communes plus importantes que d’autres parce que plus peuplées. Sa stratégie pour les législatives est la reconquête des localités perdues. Macky Sall multiplie les initiatives. Requinqué par la victoire des Lions du football à la Coupe d’Afrique des Nations et la qualification à la Coupe du monde au Qatar, le Président de la République affiche son optimisme et tente de remobiliser les troupes. Il a initié un dialogue avec la jeunesse avec un nouveau concept dénommé « Jokko ak Macky » qui consiste, périodiquement et dans des localités différentes, à échanger directement sur un plateau avec des jeunes et en visioconférence.
L’autre stratégie utilisée est l’instauration du parrainage. Ce dispositif condamné par la Cour de justice de la CEDEAO, constitue un filtre pour la validation des candidatures. Dans son arrêt de 32 pages rendu le 28 avril on pouvait lire : « La Cour décide que les formations politiques et les citoyens du Sénégal qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale doivent être rétablis dans leurs droits par la suppression du système de parrainage, qui constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote, d’une part, et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat, d’autre part. ».
L’Etat sénégalais passe outre cette décision de la juridiction ouest africaine, estimant que la loi électorale a été votée souverainement par le peuple par le biais de l’Assemblée nationale. Testé pour la première fois pour l’élection présidentielle de 2019, il avait permis de limiter le nombre de candidats à cinq. Mais il avait été aussi utilisé par les états-majors des partis politiques, comme un instrument de pré-campagne. Le Président Macky Sall a d’ailleurs confié la mission de collecte des parrainages à madame Aminata Touré, ancienne Premier ministre. Autre stratégie du pouvoir : augmenter le nombre de sièges à l’Assemblée, qui passerait de 165 à 172. Cette réforme serait déjà actée en haut lieu
L’enjeu de ces élections pour le pouvoir est central. L’opposition a la possibilité de contraindre Macky Sall à une cohabitation si elle remporte les élections. Déjà en 2017, le camp présidentiel n’avait dû son salut qu’à la division de l’opposition qui lui avait permis de gagner la majorité à l’assemblée nationale. Les élections territoriales ont montré un affaiblissement de l’électorat favorable au camp BBY et une nouvelle montée en puissance de l’opposition qui est sur une voie de rassemblement des forces. Si une grande partie de l’opposition maintient sa dynamique d’unité, Macky Sall risque de perdre la majorité au parlement. Ce serait inédit dans l’histoire politique du Sénégal. Certes le pays a déjà connu une sorte de dualité du pouvoir entre le Président Senghor et le Président du Conseil (des ministres) Mamadou Dia, qui avait culminé à l’éviction du dernier nommé durant la crise constitutionnelle de 1962, et l’adoption d’une nouvelle constitution proclamant un fort présidentialisme, donc renforçant les pouvoirs du Président de la République qui doit toutefois bénéficier de la confiance du parlement pour mener sa politique.
Macky Sall fera tout pour obtenir la majorité. Ses adversaires le savent. Dans les prochaines semaines annoncent un combat de poids lourds, dont l’issue sera déterminante. Si le camp Macky Sall gagne, ce serait une porte entr’ouverte pour une candidature à un troisième mandat jugée d’ores et déjà impossible par nombre d’observateurs en vertu de l’article 27 de la Constitution qui stipule que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Si l’opposition gagne, ce sera un nouveau challenge démocratique pour le pays de la Téranga. Les acteurs politiques sauront-ils jouer le jeu ? Démocratiquement ? Seul le temps pourra nous éclairer !