Cette affaire de hausse des prix est une sérieuse épine dans le pied du gouvernement sénégalais, qui doit convaincre de la pertinence de ses décisions économiques et sociales prises depuis les graves évènements de mars.
Tout est cher en ce moment au Sénégal. C’est le sentiment affiché par beaucoup de sénégalais sur les réseaux sociaux, où on a vu émerger des hashtags comme #DundBiJaffeNa (la vie est dure), #Sonounaniou » (Nous sommes fatigués). Ce n’est pas par pur fantasme. En effet, depuis juillet, certains produits ont vu leur prix monter en flèche. Le sucre était subitement devenu rare, et pratiquement toutes les denrées de première nécessité (riz, mil, huile, lait…) ont subi une hausse.
Cela ne s’est pas limité aux produits de base. Les matériaux de construction (ciment, fer…) ont aussi connu une hausse importante que les autorités ont du mal à expliquer. Les répercussions des mesures de restriction liées à la lutte contre le coronavirus, la conjoncture économique internationale défavorable avec la flambée des prix des matières premières énergétiques entraînant une augmentation des coûts de transport et la tension sur les produits agricoles sont avancées par le gouvernement, qui peine à convaincre.
Une situation sociale tendue
Pour désamorcer la tension qui commençait à enfler, la ministre du Commerce, Aminata Assome Diatta, a convoqué le Conseil national de la consommation, le 31 août dernier, pour discuter des propositions de sortie de crise. Cela faisait deux ans que ce Conseil ne s’était pas réuni. Il faut dire que le contexte social est explosif. Les stigmates de mars, à la suite de l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, sont toujours perceptibles. Les revendications portaient, certes, sur le harcèlement politique auquel les leaders de l’opposition étaient confrontés, mais également contre les injustices territoriales, économiques, sociales et les inégalités de tous ordres.
Les restrictions liées à la stratégie de lutte contre le coronavirus avaient fini par faire montrer la vulnérabilité des Sénégalais, les plus fragiles économiquement en particulier. Beaucoup de manifestants criaient leur colère face aux difficultés de la vie, des enseignes françaises de supermarchés furent pillés.
Le mois d’août a exposé la vulnérabilité d’une bonne partie des quartiers de la grande banlieue de Dakar, face aux inondations, qui déjà en 2020 étaient sujets de polémique. Des centaines de personnes étant obligées d’abandonner leur logement envahis par les eaux de pluie. C’est donc dans cette atmosphère globale que l’ensemble des acteurs, industriels, producteurs, associations de commerçants, associations de défense des consommateurs se sont réunis autour du ministre du Commerce et de ses services.
La pauvreté au centre des débats et des manifestations
La veille de la rencontre, le ministre des Finances, Abdoulaye Daouda Diallo, annonçait la couleur en communiquant sur la suspension, à la demande du ministère du Commerce, de la taxe conjoncturelle à l’importation appliquée sur le sucre raffiné importé, sur une durée de 45 jours. Toutefois, les commerçants tardent à répercuter la baisse demandée par le ministre au prétexte qu’ils n’ont pas encore épuisé le stock acheté au prix fort. Les produits se situent par conséquent à un niveau très élevé par rapport au niveau de vie des Sénégalais.
Le lundi, l’ADSD a publié un rapport des enquêtes de suivi de la pauvreté, intitulé Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages. Le rapport indique que la pauvreté a reculé en valeur relative passant de 42,8% en 2011 à 37,8% en 2018-2019. Toutefois, en valeur absolue, le nombre de pauvres a augmenté allant de 5 832 008 personnes en 2011 à 6 032 379 en 2018-2019. C’est cette évolution que retiennent les pourfendeurs du résident Macky Sall, qui fustigent l’inefficacité du gouvernement à lutter contre la pauvreté et à combattre l’inflation.
Une manifestation pacifique a été programmée dans ce sens dans la grande banlieue de Dakar, à Guédiawaye, le vendredi 10 septembre par des mouvements activistes qui dénoncent la « vie chère » avec, pêle-mêle, des slogans sur le prix des loyers immobiliers, des produits de base, des transports, etc. Interdite, elle fut reportée au dimanche 12 septembre. Très tôt le matin, les grands axes de la capitale furent cernés par les forces de l’ordre qui filtraient les entrées. Avant même de commencer, plusieurs organisateurs de la manifestation interdite par le préfet de Guédiawaye furent arrêtés. Ainsi, en est-il de Guy Marius Sagna, l’homme de tous les combats sociaux, responsable de FRAPP-France Dégage.
La réaction du gouvernement : créer encore plus d’emploi et lutter contre l’inflation
Cette affaire de hausse des prix est une sérieuse épine dans le pied du gouvernement sénégalais, qui doit convaincre de la pertinence de ses décisions économiques et sociales prises depuis les graves évènements de mars. Les Sénégalais attendent de voir se concrétiser les recommandations du Conseil présidentiel pour l’emploi et l’insertion professionnelle des jeunes, tenu le 22 avril, pour répondre aux préoccupations soulevées lors de ces évènements et du programme de recrutement de masse dénommé Xëyu Ndaw Ñi (« l’emploi des jeunes », en wolof) qui a été adopté lors ce conseil. Rappelons que ce programme est estimé à 450 milliards de francs CFA, dont 150 milliards pour cette année. Il doit permettre le recrutement de 65 000 jeunes, sur l’ensemble du territoire national, dans les activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène publique, de sécurité, d’entretien du réseau routier et de pavage des villes, entre autres.