Décidemment, au rythme où vont les choses, on est tenté de croire que Macky Sall, fait tout son possible pour priver le Sénégal d’une véritable élection présidentielle le 25 février 2024. Après avoir été contraint de renoncer à une troisième candidature manifestement illégale, il tente par tous les moyens légaux comme illégaux de barrer la route à la présidentielle à Ousmane Sonko leader charismatique de l’opposition et porte drapeau de la jeunesse.
Le 31 juillet, le gouvernement sénégalais acte la dissolution du parti dirigé par Ousmane Sonko qui venait d’être arrêté deux jours plus tôt dans des conditions dignes d’un film nollywoodien. L’Etat sénégalais ou en tout cas ceux qui sont censés représenter l’Etat sénégalais ont de fait mené la vie dure au principal opposant de Macky Sall. Les procès intentés contre lui ayant accouché d’une souris, les gros moyens ont été déployés, en dehors des actions judiciaires.
Une dissolution à multiples équations
La dissolution du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, Pastef, sonne comme l’aboutissement d’un bras de fer entre deux chefs de partis qui ambitionnent de diriger ou de continuer à diriger le pays, à la seule différence que l’un est aussi président de la République en exercice. Cette dissolution est d’autant plus extraordinaire que depuis le début des années 1960, le Sénégal n’a pas connu de dissolution de partis.
Certes ces dernières décennies, des violences politiques et électorales ont émaillées plusieurs campagnes, des personnalités politiques ont été emprisonnées, mais jamais leur parti n’a été inquiété de la sorte. Le motif invoqué par le gouvernement, c’est notamment « l’appel à l’insurrection ». Pourtant, bien que plusieurs membres de Pastef aient été emprisonnés pour des raisons essentiellement politiques et d’opinions, aucun d’entre eux n’a été condamné par la justice pour des faits en relation avec la violence ou d’appel à l’insurrection. Cette dissolution est aux yeux de beaucoup de spécialistes problématique dans la mesure où elle pose les limites de la démocratie sénégalaise.
Avec toute la vitalité que l’on connaissait de la démocratie sénégalaise, un gouvernement peut-il se permettre de dissoudre un parti légalement constitué ? Le danger souligné est qu’un président de la République, peut pour se pérenniser dissoudre le parti de son rival sans aucune forme de procès. Par ailleurs, les faits de violence reprochés au Pastef ne sont pas inédit dans l’histoire politique du Sénégal. Le Parti démocratique sénégalais dont est issu Macky Sall, a souvent été accusé de favoriser la violence mais le régime socialiste n’est jamais arrivé à une telle extrémité.
De plus, durant les évènements de mars 2021 et de juin 2023, des partis de la mouvance présidentielle, respectivement le Parti socialiste et l’Alliance pour la République, ont été accusés, avec des preuves circonstanciées dans certains médias, d’héberger et d’équiper des « nervis », autrement dit des groupes armés, qui semaient la terreur durant les violences inouïes enregistrées durant ces périodes. Donc en total violation des lois de la République. Les Sénégalais attendent d’ailleurs toujours les résultats de l’enquête. La police avait à l’époque désigné, images à l’appui, des civils (des nervis pour certains médias) comme étant les auteurs des tueries. Si Pastef est dissous, ces partis, dans un cadre républicain, ne mériteraient-ils pas le même sort ? Il faut toutefois remarquer qu’en Afrique les partis au pouvoir ont des privilèges qui parfois défient l’Etat de droit. La question de la neutralité de l’Etat est en tout état de cause au menu.
« Sonko, tu nous manques ! »
Malgré la dissolution par le pouvoir de leur parti, les responsables de Pastef continuent de mener leurs activités. D’après plusieurs observateurs, l’objectif de Macky Sall était d’éclater un parti dont les moyens d’action allaient grandissants au point d’être de toute évidence le parti politique le plus structuré du Sénégal, qui plus est populaire auprès de la jeunesse. Autre raison : ce parti réussissait des levées de fonds qui pouvaient assurer un financement important de la campagne. Cette assise populaire a finalement profité au Pastef, qui a réussi à renverser la tendance avec le slogan « Pastef est dans les cœurs. On ne peut pas dissoudre ce qui est dans le cœur des sénégalais. »
C’est d’ailleurs l’inverse de ce qui était attendu est en train d’arriver. Depuis son arrestation et la dissolution de son parti, les jeunes chantent dans les rues, les plages et stades le nom de Sonko. Cette pratique a un nom : la « sonkorisarisation ». Elle consiste à scander le nom de Sonko dans les lieux publics, lors de manifestations officielles, etc. Plusieurs ministres ont été victimes de « sonkorisation ». Mais l’évènement majeur de ces derniers mois, c’est la chanson « Sonko name na leu », « Sonko, tu me manques » en français, qui sonne comme une forme de résistance d’une jeunesse à laquelle le régime de Macky Sall a ôté toute liberté d’expression politique. Cela a commencé avec des matchs inter quartiers, pour finir dans les matchs du championnat national de football et de basket. Pour le match amical Sénégal-Algérie, les supporters ont entonné « Sonko name na leu » dans les transports, notamment dans le TER menant au stade, pour terminer en symbiose durant le match par un fameux « libérez Sonko » en chœur. Ce même phénomène est constaté à l’étranger. Macky Sall lui-même a été « sonkorisé » lors de la dernière session de l’assemblée générale de l’ONU à New York. Idem pour la rencontre de football Sénégal-Cameroun à Lens en France. Ce qui fait dire à beaucoup que Ousmane Sonko est actuellement « l’Absent le plus présent »
Sonko hante le sommeil de Macky Sall
L’élection présidentielle se tiendra le 25 février 2024. La chasse aux parrainages, sorte de quitus pour prétendre voir sa candidature validée par le Conseil constitutionnel, est ouverte depuis le 27 septembre. Les mandataires se rendent ainsi à la Direction générale des élections, DGE, pour retirer les fiches de parrainages. La DGE a donné des fiches de parrainages à tous les mandataires sauf à celui de Ousmane Sonko au motif que celui-ci n’est plus électeur. En principe la DGE n’a pas un rôle de filtre, elle se doit de donner des fiches à tout demandeur, c’est uniquement au Conseil Constitutionnel de dire qui sera candidat ou pas. Le tribunal de grande instance de Ziguinchor était appelé à statuer le jeudi 12 sur la radiation par le ministère de l’intérieur de Ousmane Sonko des listes électorales. Le juge a donné raison aux avocats de Sonko et a demandé sa réintégration immédiate. Première victoire historique, surtout pour l’indépendance de la justice. Une justice sous forte influence de l’Exécutif, depuis l’indépendance, mais encore plus fortement depuis l’arrivée au pouvoir de Macky Sall qui semble avoir inféodé ce contre-pouvoir stratégique.
Malgré cette décision de justice, la DGE refuse toujours de délivrer les fiches de parrainages au mandataire de Sonko. Le député Mohamed Ayib Daffé, s’est en effet rendu le jeudi 19 puis le vendredi 20 octobre à la DGE qui n’a pas voulu le recevoir, encore moins lui fournir les fameuses fiches. Plusieurs voix de la société civile, dont Alioune Tine, Seydi Gassama, Birahim Seck, s’élèvent pour dénoncer une injustice, la soumission de l’administration non aux lois de la République, mais à un homme et un parti et demander la gestion et l’organisation des élections par des personnalités neutres et consensuelles comme l’avaient accepté Abdou Diouf puis Abdoulaye Wade.
La campagne pour la prochaine élection présidentielle semble mal partie. Macky Sall semble vouloir imposer aux Sénégalais son choix : après avoir été éjecté de la course, en grande partie par les manifestations de mars 2021 et de juin 2023, donc par « la faute » d’Ousmane Sonko, il estime sans doute que c’est à lui de dire qui est bon et qui n’est pas bon pour présider à la destinée des 18 millions de sénégalais. C’est à lui finalement de choisir le prochain président de la République.
On ne rappellera jamais assez l’histoire et la vitalité de la démocratie sénégalaise. Mais on n’oubliera pas non plus qu’en 2019, en dépit de cette vitalité, il n’existait que 5 candidats à la présidentielle. Ce qui constituait déjà un « choix » du prince, car plusieurs candidatures sérieuses ont été évincées en totale opacité. Quoiqu’il en soit, l’élection présidentielle de 2024 est tendue avant l’heure. Le pouvoir en place fait tout son possible pour « éliminer » Sonko. Ce qui de facto biaisera le choix des sénégalais. Une élection sans le favori sera-t-elle une véritable élection ? Mais les sénégalais vivent-ils toujours en démocratie ? Des interrogations qui s’imposent !