Le 28 mai dernier, le président Macky Sall signait le décret 2021-689 fixant « le ressort territorial et le chef-lieu des régions, des départements, et arrondissements », mettant fin aux supputations quant au découpage annoncé en septembre 2020 lors d’une visite dans la grande banlieue dakaroise, alors secouée par des inondations d’une grande ampleur.
La solution préconisée par le président Macky Sall était d’accorder le statut de département à la commune la plus touchée. Selon lui, il existait un seuil suffisant de populations dans cette partie de la région de Dakar, qu’un nouveau découpage était devenu nécessaire pour mieux gérer les problèmes, liés non seulement aux inondations, mais également à la prolifération de l’habitat spontané comme régulier, au foncier ou encore à l’insécurité.
Le ministre chargé des Collectivités territoriales, Oumar Guèye, avait en mi-mai justifié le choix des autorités, estimant qu’il ne s’agit pas de découpage mais plutôt de correction du découpage de 2011 qui avait, selon ses dires, causé beaucoup d’injustices aux populations et aux zones concernées. « Le terme à utiliser, c’est la correction du découpage de 2011 et non un redécoupage. Cette correction était attendue depuis 10 ans, depuis 2011. Donc il n’y a aucun problème. Toute la population de cette zone, de Bambilor, Sangalkam, Tivaouane Peulh s’attendait à cette correction. Ce n’est pas une surprise. C’est une longue attente de 10 ans. Cette correction de découpage n’est pas faite pour Oumar Guèye. Je suis maire de Sangalkam, demain je ne le serai plus », expliquait-il lors d’une conférence de presse.
Levée de boucliers
L’annonce du redécoupage dans la région de Dakar a en effet suscité une levée de boucliers de la part des adversaires au projet, essentiellement des élus de partis d’opposition. La plupart estimait que c’était une occasion pour le pouvoir de fragiliser l’opposition dans les communes où il se sent en minorité. Beaucoup de maires concernés avait convoqué des réunions avec leurs administrés, pour d’une part décrier le fait que ni eux ni leurs populations n’ont été associés aux concertations comme le stipule la loi, mais surtout pour dénoncer des calculs politiques et électoralistes. En effet, on a constaté qu’au Sénégal, la gestion urbaine conduit souvent à la remise en question des cadres territoriaux traditionnels. Dans la région de Dakar plus précisément, les découpages administratifs récurrents seraient en liens étroits avec le souci exprimé à tous les niveaux, gouvernants, société civile à travers les associations de quartier ou les groupements économiques et populations, d’une meilleure coordination des actions.
Cependant, il faut dire que les autorités sénégalaises sont habituées à manipuler le territoire, notamment à la veille des élections territoriales. En 1996, il a été amorcé le saucissonnage de la région de Dakar : 4 communes-villes et 43 communes d’arrondissements. Le but inavoué pour le parti au pouvoir à l’époque, le Parti socialiste(PS) en l’occurrence, était de conserver les collectivités de la capitale en divisant les territoires favorables à l’opposition. Ce pari fut gagné lors des élections locales de 1997. Cela n’empêcha pas l’affaiblissement du PS lors des législatives de 1998, puis sa chute lors de l’élection présidentielle de 2000. En 2011, on assista à de vives manifestations contre un découpage imposé par le Parti démocratique sénégalais (PDS) au pouvoir. En effet, la création de communautés rurales confiées à des délégations spéciales dirigées par des proches du parti au pouvoir deux ans après les élections locales de 2009 avait entrainé des manifestations sévèrement réprimées, provoquant la mort d’une personne à Sangalkam.
Cette fois, le découpage a reconfiguré la partie centrale et le nord-est de la capitale, notamment le département de Rufisque et celui de Pikine détachés des communes de Keur Massar, de Malika et de Yeumbeul, qui forment le nouveau département de Keur Massar. Les contestations, bien que présentes, ont été moindres par rapport aux années précédentes, parce que les populations estiment majoritairement que la zone s’est énormément développée ces dernières décennies, au point de mériter un statut politico-administratif supérieur. De facto, le statut de département accorde un certain nombre de privilèges, de services administratifs, notamment la mise en place des services préfectoraux et les directions représentant l’État et les ministères au niveau local. Raison pour laquelle, le maillage politico-administratif du Sénégal obéit pour l’essentiel à la demande de communautés à la base, qui souhaitaient la consécration de leur localité en commune ou en département pour bénéficier des services étatiques et de la construction d’infrastructures structurantes ou sociales qui va avec le statut en question.
Tournée politique et électorale
Les élections territoriales (communes et départements) sont enfin programmées pour le 23 janvier 2022 après quatre reports. Les états-majors politiques sont en train de s’organiser pour être prêts au jour J. Le président de la République est en tournée à l’intérieur du Sénégal depuis la mi-mai. Cette tournée est dénommée « économique », mais a tous les attributs d’une tournée politique et électorale visant à remobiliser les troupes avant les élections. Macky Sall veut à tout prix remporter ces élections avec sa coalition. Celles-ci vont constituer à coup sûr un baromètre important dans son intention de se déclarer ou non candidat pour un troisième mandat à la prochaine présidentielle prévue en 2024, bien que la Constitution reste précise sur ce cas : « Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs » (article 27).
L’opposition est avertie. Sans union des partis et mouvements d’opposition comme lors des élections législatives de 2017, le camp présidentiel pourrait remporter ces élections très stratégiques, considérées d’ailleurs par certains analystes comme une sorte de référendum pour ou contre Macky Sall, vivement contesté depuis les évènements de mars dernier.