Pendant que le phénomène de « coup d’État dans le coup d’État » semble faire tache d’huile dans la sous-région, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) fait à nouveau parler d’elle par l’annulation du sommet extraordinaire de Dakar. D’aucuns pensent que c’est le signe d’un malaise profond qui mine l’organisation de l’intérieur.
Le sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), prévu dans la capitale sénégalaise les 13 et 14 octobre, n’a finalement pas eu lieu. Plusieurs raisons sont soulignées, notamment l’inopportunité de tenir un sommet dont le principal sujet est le Burkina Faso, alors que les nouvelles autorités de ce pays ont accepté le calendrier fixé par l’organisation. D’autres raisons, moins diplomatiques, sont également avancées. Cette annulation est-elle le signe d’une crise au sein de l’organisation ouest-africaine ?
Le sommet extraordinaire de Dakar devait être consacré à la sécurité, et en filigrane à la situation au Burkina Faso, et les sanctions graduelles annoncées en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York. L’Afrique de l’Ouest est secouée, ces dernières années, par une crise multiforme. En plus de la crise sécuritaire consécutive à l’activisme des groupes extrémistes violents, s’ajoute une instabilité politique et institutionnelle dont les implications sont parfois surprenantes.
Troisième mandat et putschs
La crise institutionnelle a pour soubassement d’une part la lancinante question du « troisième mandat », de l’autre les coups d’État militaires qui interrompent les dynamiques politiques. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a réussi le coup de force en imposant un troisième mandat. En Guinée, Alpha Condé l’avait également réussi. Dans les deux cas, des violences pré et post-électorales d’une grande ampleur ont suivi. Si M. Ouattara a fini, en théorie, par faire oublier son coup de force, appelant à la réconciliation nationale qui a donné lieu à l’amnistie et le retour au pays de son rival, l’ancien président Laurent Gbagbo, Alpha Condé a été déposé par le colonel Mamadi Doumbouya.
Un autre coup d’État s’était également déroulé au Burkina Faso, dans un contexte différent. Ces deux putschs venaient s’ajouter à celui du Mali opéré par le colonel Assimi Goita. Les sanctions économiques et financières infligées au Mali n’ont, apparemment, pas dissuadé les putschistes de tous bords de passer à l’action.
Pendant ce temps, les attaques terroristes n’ont cessé ni au Mali ni au Burkina Faso. Les pays de la Cedeao redoutent une contagion totale du péril djihadiste davantage dopé par l’instabilité politique et institutionnelle de certains de ses membres. Elle n’est, toutefois, pas encore parvenue à assurer une coordination émanant d’elle-même sur les questions sécuritaires au niveau global, comme elle l’avait réussi en stabilisant des pays tels que le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée Bissau, ou encore récemment la Gambie.
Risque d’une crise d’autorité
En plus de cette question sécuritaire globale, les transitions en cours au Mali, en Guinée et plus particulièrement au Burkina Faso étaient à l’ordre du jour. Des incertitudes demeuraient sur le cas burkinabé. Le Burkina venait de connaitre un énième coup d’État et il était important, pour la Cedeao, de se positionner à nouveau. Elle semble avoir été rassurée par les putschistes, qui ont présenté leur acte comme un réajustement interne opéré au détriment du lieutenant-colonel Paul Henri Damiba.
Pour le président en exercice, le bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló, il faut bien préparer le sommet pour assurer la présence de tous les chefs d’États, mais également d’autres invités. Aissata Tall, ministre sénégalaise des Affaires étrangères, avait expliqué qu’il «n’était pas opportun pour les chefs d’État de venir se réunir à Dakar pour une question qui a été déjà réglée ».
Pour certains observateurs, cet argument est purement diplomatique. Il est autrement souligné pour masquer l’échec des autorités sénégalaises et celles de la Cedeao face aux enjeux de la région. La Cedeao ne peut même pas se réunir, ne serait que pour adopter une position de principe sur un coup d’État qui vient succéder à un coup d’État en l’espace de quelques mois ?
Il existe de plus en plus de fortes dissensions au sein de l’espace communautaire. Des pays se sentent de moins en moins concernés par le fonctionnement de la Cedeao et par ses décisions. Une crise d’autorité risque de s’installer, ajoutant plus de confusion à une situation complexe. Certains dirigeants ne comprennent pas l’invitation faite par Umaro Sissoco Embaló au président français Emmanuel Macron de prendre part au sommet de la Cedeao. Plus largement, les opinions publiques ouest-africaines sont de plus en plus hostiles à toute implication étrangère dans les affaires du continent. Les dirigeants ouest-africains sont-ils en phase avec leurs peuples ?
Enjeux importants
En tout état de cause, cette annulation du sommet de Dakar traduit, d’après plusieurs observateurs, un profond malaise au sein de la Cedeao. Les orientations des uns et des autres diffèrent. Les anglophones observent souvent une attitude de neutralité, tandis que dans les parties francophones, plusieurs pays sont en situation de méfiance latente : le Mali et le Niger, la Côte d’Ivoire et le Mali. De plus, les « coups d’État constitutionnels » compliquent quelque peu une situation problématique, car tendent à légitimer ou tout au moins à rendre compréhensible les coups d’États militaires.
Autant les coups d’État militaires sont un fléau unanimement condamné par les instances de la Cedeao, autant les « coups d’État constitutionnels » constituent une menace pour la stabilité de la région. Mais la Cedeao a du mal à adopter une position ferme à ce sujet. Au-delà des questions politique, institutionnelle et sécuritaire, il y a les questions économiques très discutées un moment mais qui semblent en retrait depuis l’annonce par Emmanuel Macronde la réforme du franc CFA et son remplacement par l’éco.
Les enjeux pour la Cedeao sont importants. La seule organisation communautaire du continent qui parvenait jusqu’ici à résoudre ses problèmes internes, à pacifier et à stabiliser des pays en conflit et à se construire une certaine crédibilité auprès des États et des opinions publiques ouest-africaines est de plus en plus incapable de parler d’une seule voix et de faire respecter ses décisions de plus en plus contestées.
Le président Umaro Sissoco Embaló, en sapeur-pompier, a annoncé que les chefs d’État se retrouveront, comme prévu en décembre à Abuja, pour leur traditionnel sommet ordinaire. Le prochain sommet risque donc d’être agité si, entre temps, les équivoques ne sont pas levées.