En tout cas, en croire les propos du ministre des affaires étrangères du Togo Robert Dussey, « tout est possible ». Lors de son interview accordée à nos confrères de la chaîne de télévision camerounaise VoxAfrica, le jeudi 16 janvier, le diplomate togolais a précisé que l’adhésion de son pays à cette association des pays sahéliens confrontés aux conflits terroristes n’est pas « impossible ».
Cet entretien du chef de la diplomatie togolaise aurait pu passer inaperçu dans le paysage médiatique s’il n’avait pas glissé la possible union de son pays avec les trois pays de l’AES, Mali, Niger et Burkina Faso, qui ont décidé de claquer la porte de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Selon le ministre Dussey, dont le pays est toujours membre de l’organisation ouest africaine, la décision de faire partie du triumvirat sahélien dépendra juste d’abord du président de la République, Faure Gnassingbé et le parlement, en seconde position. Durant son tête-à-tête avec le journaliste, M. Dussey va jusqu’à défier son interlocuteur, « Demandez aux populations togolaises et togolais lambdas, si le Togo doit entrer dans l’AES ? » a-t-il posé comme question.
Il s’est en quelques secondes lui-même répondu, « Vous allez voir leur réponse, ils vous diront oui. Plus de 70% vous diront oui ».
Togo, la supercherie des pays de l’AES
Togo n’a pourtant jamais dissimulé sa bonne relation avec ces trois pays enclavés du Sahel, dirigés par des hommes en treillis. Ce petit pays, de par sa superficie, détenteur d’un port maritime et frontalier du Burkina Faso et du Niger, avait même été désigné comme médiateur pour faire revenir le Burkina, le Mali et le Niger dans la Cédéao, suite à leur décision commune de se retirer de la communauté ouest africaine. Lomé a même érigé un pont de médiation lors de la brouille diplomatique entre Bamako et Abidjan, dans l’affaire dite des « 49 soldats ivoiriens » incarcéré au Mali. Tous les observateurs se souviennent des visites nocturnes du président togolais à Koulouba durant cette période de pression diplomatique.
Cette déclaration du ministre des affaires étrangères a, en outre, suscité plusieurs réactions au niveau continental et international. Certains se souviennent même de la participation de Lomé, en mai 2024, « aux exercices militaires conjoints avec les trois pays de l’AES ».
Du côté de Niamey, selon d’autres observateurs, cette affirmation du ministre togolais est une séduction économique. Selon eux, cet incrédule rapprochement de ce pays du Golfe de Guinée avec ces pays sahéliens enclavés « pourrait bénéficier au port de Lomé que le Niger utilise déjà pour importer des marchandises au détriment du port de Cotonou », car Niamey maintient sa frontière fermée avec le Bénin.
Lomé et le double jeu
Cependant, des experts estiment que le Togo de Gnassingbé Eyadema, l’un des fondateurs de la Cédéao, ne pourra jamais quitter cette organisation. Mais le pays va, selon Niagalé Bagayoko, présidente du réseau africain pour le secteur de la sécurité « jouer sur la multi-appartenance ». La franco-malienne présage que Togo va sûrement peser pour que la Cédéao se positionne sur les questions économiques plutôt que la démocratie. Gnassingbé fils semble pourtant un « anti-démocratie » depuis son accession au pouvoir, il a même récemment instauré un régime parlementaire « impopulaire » au grand dam de son opposition divisée.
Pour le Docteur Ekue Foly Gada, Directeur de l’Institut d’études stratégiques de l’Université de Lomé, cette possible adhésion de son pays à l’AES, « aura plus de désavantages que d’avantages. » Parce que d’après lui, en étant hors de cette zone, « le Togo, avec son port, peut négocier des contrats et gagner, et avoir des avantages macroéconomiques importants ».
Par ailleurs, Anani Sossou, journaliste et analyste politique, estime de son côté dans les colonnes du Journal allemand Deutsche Welle que « l’impact économique pour le Togo, en entrant dans l’AES, ne serait pas significativement supérieur à ce qui existe déjà aujourd’hui ».
Le journaliste a même souligné son doute quant à cette déclaration du ministre des affaires étrangères togolais, « je pense qu’il a été imprudent en tenant de tels propos, puisque, ce faisant, il met en difficulté le président togolais vis-à-vis de ses pairs et de ses homologues d’Afrique de l’Ouest. Ce sont des propos complètement illogiques, imprudents et pas du tout diplomatiques. »
Docteur Ekue Foly Gada est parti jusqu’à souligner « une erreur d’interprétation » et a apporté que « Robert Dussey s’est contenté de répondre de manière simple à une question triviale posée par un journaliste. » Le professeur d’université a rappelé par ailleurs que « la politique étrangère d’un État ne se décide pas du jour au lendemain. »
« On peut comprendre qu’un État qui a telle ou telle position ne peut pas d’un jour à l’autre dire qu’il change de communauté pour rentrer dans l’AES. Quelle que soit la façon dont on tourne l’affaire, il n’est pas possible d’imputer au ministre togolais des Affaires étrangères une déclaration qui serait considérée comme étant officielle sur une position du Togo, conjoncturelle du Togo vis-à-vis de l’AES. Donc il ne s’agit pas ici du fait que le Togo veut rentrer dans l’AES », a-t-il indiqué.
Pour rappel, il y a juste une année, Togo avait organisé un forum sur les transitions en Afrique, dont les régimes de la zone AES étaient des invités privilégiés. En plus ce pays ouest africain du golfe de Guinée est partisan de la politique du non-alignement et milite toujours pour ouvrir le dialogue entre l’organisation régionale et les pays du Sahel central.