Que devient Tamba Doucouré, cet opérateur économique de Tombouctou qui dit avoir évacué près de 20 000 personnes en pleine occupation djihadiste ? C’est lui aussi, selon ses dires, qui serait chargé de payer le salaire de tous les fonctionnaires restés sur place. Aujourd’hui, alors qu’il a tout perdu et est tombé dans l’oubli, ce sont les accusations d’être impliqué dans les trafics – et pour lesquelles il a été entendu à la Sécurité d’État– qu’il souhaiterait voir disparaitre.
Originaire de Touba (Banamba), dans la région de Koulikoro, Tamba Doucouré a passé une partie de son enfance, sa jeunesse et le début de son commerce à Tonka, avant de s’installer à Tombouctou. D’une boutique, il a prospéré jusqu’à six, bien évidemment avec la famille, puisque son grand-père était commerçant. Ensuite, il s’est lancé dans d’autres activités comme la boulangerie, le transport, le BTP et autres. Tout cela sans un seul marché public.
ADS : Nous êtes venus à la rescousse en 2012 en payant certains fonctionnaires, en pleine occupation djihadiste. Comment cela s’est passé ?
Ce n’est pas seulement les fonctionnaires, mon aide a touché pratiquement toute la région de Tombouctou. Cela a commencé en 2012 jusqu’à 2013 à l’arrivée de la mission des Nations unies (Minusma) et des établissements financiers dans la région.
Au début, c’était destiné aux femmes et aux enfants des militaires et autres agents des services publics qui voulaient quitter Tombouctou. Comme j’avais une compagnie de transport GDF (Galerie Doucouré et fils), ces derniers sont venus loger au sein de ma gare. Pour ne pas les exposer en voulant les aider, je me suis rapproché des groupes armés afin de leur expliquer mon intention de transporter ces personnes hors de Tombouctou. J’ai été la première personne à rencontrer les groupes armés, au lendemain de leur occupation de la région, bien avant l’arrivée d’Iyad Ag Ghaly, le 2 avril 2012. Très surpris par mon audace pour sauver des femmes et des enfants et pour l’amour de Dieu que j’ai évoqué, l’Algérien qui était à la tête des combattants, ce jour-là, m’a non seulement accordé son feu vert, mais m’a aussi confié à certains de ses hommes pour veiller sur moi.
C’est ainsi que, rassuré, j’ai appelé le gouverneur de Tombouctou à l’époque pour l’informer de l’évacuation de plus de 20 000 personnes de Tombouctou et environs vers des destinations diverses (Douentza, Mopti, Bamako). A travers ces convois, qui n’étaient pas trop surveillés par les groupes armés, puisque la seule compagnie sur le trajet, j’ai pu évacuer plusieurs militaires qui n’avaient pas pu quitter la ville.
Également, j’ai pu obtenir la libération de beaucoup de militaires, parce qu’il suffisait que j’appelle le « chef » pour lui dire que certaines personnes se trouvent entre la main de ses hommes, il donnait tout de suite des instructions de les libérer sans se soucier de savoir s’ils sont civils ou militaires. Au-delà de l’évacuation, j’assurais aussi le salaire des fonctionnaires et agents d’autres ONG qui étaient restés à Tombouctou, parce qu’il n’y avait aucun établissement financier dans toute la région ni de banque. C’est chez moi que tous les salariés venaient chercher leur salaire. Ma société a passé un bon moment à fournir l’EDM-S. A (Énergie du Mali) et la Somagep-S. A en carburant. Parce qu’avec l’embargo imposé au Mali, à la suite du coût d’état [2012], il y avait une difficulté énorme d’approvisionnement de la ville en carburant. Avec EDM, on peut comprendre, mais Tombouctou sans eau est inimaginable. C’est pourquoi, je ne pouvais pas être indifférent. C’est pour dire que c’était dans tous les domaines, à Tombouctou et ailleurs, puisque c’est moi qui ai aussi réparé le camp militaire de Hombori, qui a couté 200 millions de francs CFA avant qu’on ne trouve de l’argent pour me rembourser. Le camp d’entrainement de l’armée de l’air de Samanko aussi. Sur le plan éducatif, j’ai pris en charge le transport de tous les élèves de Tombouctou pour les épreuves spéciales organisées en leur faveur par l’État à Mopti. La liste est longue.
Combien ces actions ont-elles coûté et contre quoi M. Doucouré ?
Ce sont des milliards. Lors des évacuations seulement, je perdais chaque semaine deux fois 840 000 francs CFA pendant près de deux ans sinon plus. Jusqu’à l’arrivée de la Minusma ainsi que le retour d’autres compagnies de transport. L’argent importait peu pour moi. La seule conviction qui m’animait, à l’époque, était le devoir de servir mon pays au moment où l’État était en difficulté. Un devoir patriotique au risque de ma vie et de ma fortune.
Si c’était à refaire, que feriez-vous ?
Je suis animé par un sentiment de fierté mélangé d’amertume. Un sentiment de fierté, parce que malgré tout, j’ai incontestablement servi mon pays à un moment de son histoire. Je suis fier des témoignages et des reconnaissances de la part des populations et des ressortissants de la région de Tombouctou. Mais j’ai été perplexe face à l’indifférence de l’État. Je ressens toujours le poids des préjugés nauséabonds et de l’État et de certains individus sur ma conscience.
Malgré que j’aie tout perdu dans cette crise, mon argent, ma compagnie de transport et mes grandes boutiques, certains croyaient que je profitais de la crise pour faire de sales affaires. D’ailleurs, j’ai plusieurs fois été entendu à la Sécurité d’État.
Au lieu de m’aider et de m’encourager dans cette aventure « dangereuse », on me soutirait 50.000 francs CFA partout où les autres paient 5.000 francs aux postes de contrôle. Aujourd’hui, j’ai l’impression de vivre un rêve. J’ai tout perdu et je suis tombé dans l’oubli.
Quel message avez-vous aujourd’hui ?
Je veux juste me laver de la mauvaise réputation que certains ont de ma personne. Je veux qu’on arrête de croire que j’étais un trafiquant d’armes, de drogue et de quoi que ce soit. Je n’ai jamais entretenu de complicité avec les groupes terroristes. Tout ce que je faisais, c’était une action humanitaire envers ceux qui en avaient besoin à l’époque. Je ne demande pas un remboursement de ce que j’ai perdu, mais je veux ne pas non plus vivre de dons. J’ai tout perdu dans cette crise, mais je suis un entrepreneur qui veut vivre de son travail.
Propos recueillis par Issa Djiguiba