Alors que le Secrétariat des Nations Unies (ONU) était dans son rôle habituel de veille sur la situation sécuritaire et humanitaire au Mali, le Conseil de sécurité a décidé de convier les autorités maliennes pour discuter du contenu de son dernier rapport trimestriel. Le Mali ayant naturellement consenti cela, force est de constater que des surprises ont été enregistrées dans la foulée de cet exercice.
En effet, pendant que le Mali annonçait lors de sa rentrée diplomatique à Ségou sa volonté politique d’être en phase avec le reste du monde en mettant balle à terre, soudain, une surprise ne laissant pas indifférente les autorités s’incruste dans cette nouvelle volonté, chose qui risque de ralentir l’effectivité de cette initiative. Il s’agit bien de la prise de parole de Mme HAIDARA Aminata Cheick DICKO vice-présidente de l’ONG Kisal au nom de la société civile du Mali. Depuis son intervention au Conseil de sécurité, des polémiques n’ont cessé de pleuvoir au sein de la société malienne. A en croire que cette figure de la société civile malienne s’est trouvée étrangère aux maliens suite à cet acte posé.
D’abord la grande polémique prend ancrage de la réaction de la délégation malienne, à sa tête le ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale M. Abdoulaye DIOP qui, au demeurant, n’a pas manqué d’étaler son indignation et sa surprise de voir la tête de cette dame se réclamant d’être de sa délégation sans consultation préalable. Dès cet instant, une méfiance s’est installée et a donné le courage au Ministre d’attirer l’attention du Conseil sur cet acte. Ensuite, la seconde indignation trouve son origine dans la méconnaissance de cette dame par une frange partie de la population malienne. Pour certains observateurs maliens, il s’agit manifestement d’une volonté d’instrumentalisation de la société civile malienne ou de cette dame qui prétend la représenter. Et pour d’autres, pour faire empreinte de l’expression du premier ministre, il s’agit plutôt d’un « abandon en plein vol » que la jeune dame vient de subir de la part des autres organisations de la société civile.
Il est important de savoir que l’organisation dont Aminata Dicko est leader est issue de la plus grande Organisation à caractère mondial spécialisée dans la défense de droits des pasteurs nomades au Sahel. Elle est rattachée à Tabital Pulaaku qui milite aussi dans ce sens. Ici, le constat qui fut rapidement frappant est le soutien massif à Aminata Dicko sur des plateformes de communication comme Facebook, WhatsApp et autres. Pour ces groupements, les morceaux crachés par leur compatriote sont teintés d’effets véridiques, mais que les autres refusent de reconnaitre. D’après ses soutiens, Aminata Dicko a dressé un tableau selon les réalités du terrain et non celles des médias. Dans ses interventions, elle n’a pas manqué de souligner la montée de l’armée en puissance, même si cela est vue par certains comme une manière pour les tenants de l’appareil étatique de légitimer leur position, mais aussi des exactions commises par les soi-disant instructeurs russes et des forces de l’ordre en incluant bien évidemment les groupes d’extrémisme violent. Sur les réseaux sociaux, les propos d’Aminata Dicko furent rapidement jugés comme un manque de patriotisme au regard notamment du choix du lieu.
Une surprise au mauvais moment ?
Un conseil de sécurité déjà divisé au sujet du Mali, entre ceux qui soutiennent les efforts fournis par les forces armées du Mali et leurs partenaires et, ceux qui en sont critiques. Pour renforcer et renouer le dialogue et la coopération, il faudra tout d’abord rétablir la confiance entre les partenaires. De sorte que, sur le cahier de charges, l’on soit au même niveau de lecture et éviter qu’entre partenaires, pendant qu’une partie lit le recto, l’autre partie ne soit occupée à modifier le verso de la même page. Le doute et la méfiance étant ennemis de pratiquement tout partenariat, il faudrait que le Mali et ses partenaires soient au même degré d’information. Malgré cet embarras de choix, il faut reconnaître que certains Etats asiatiques n’ont pas manqué de faire mention et reconnaissance des efforts consentis par les autorités et leurs partenaires stratégiques. Parmi ceux-ci, on peut citer la Chine, la Russie et l’Inde qui n’ont pas hésité une fois d’exhorter la communauté internationale à faire des efforts supplémentaires pour le Mali dans la lutte contre le terrorisme.
La sincérité douteuse du Conseil de sécurité de l’ONU
De la version de la dame, elle représente la société civile malienne. Or, les autorités maliennes affirment une méconnaissance de l’organisation qu’elle représente au sein de la société civile malienne à fortiori sa personne. Pendant ce temps le conseil consacre un silence radio, dit-on face à cette situation, ce qui laisse croire une sorte de complicité non affichée et d’instrumentalisation de la société civile malienne avec des agendas occultés à des fins de déstabilisation de la nation malienne comme aime le dire M. DIOP. Mieux, ce qui laisse perplexe les analystes des faits et phénomènes politiques, c’est le fait qu’il est difficile d’admettre que la dame ait facilement accès à la salle même si son intervention était en visio-conférence, comment se fait-il qu’elle ait pu avoir accès au lien de la réunion d’examen du rapport trimestriel, par piraterie ou de gré ?
Les arguments du gouvernement malien
Sur place le ministre ayant signalé l’intrusion de cette dame dans la délégation malienne aux Nations unies, toute de suite beaucoup d’organisations de la société civile malienne ont manifesté leur indignation et leur désolidarisation. Par exemple, le Conseil National de la Société Civile du Mali a ouvert le bal en prenant en témoin l’opinion nationale et internationale de la non reconnaissance de la personne de Aminata Dicko. « Aujourd’hui, le Conseil National de la Société Civile du Mali fidèle à sa mission de veille citoyenne est dans l’obligation d’informer l’opinion nationale, internationale et de prendre le peuple malien à témoin que la personne qui a parlé comme membre de la Société Civile du Mali à la réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies n’est associée ni de près ni de loin au Conseil National de la Société Civile du Mali », a indiqué la plus grande organisation de la société civile tout en ajoutant que les propos de cette dame « n’engagent que sa personne et son association et non la Société Civile du Mali ». Ensuite s’en est suivi, la Fédération des Organisations et des Regroupements de Soutien aux Actions de la Transition FORSAT-Civile et le Mouvement Pour la Défense des Intérêts de la République du Mali (MOUDIRE) qui ont plutôt qualifié cette manœuvre de, « déclarations Mensongères et Xénophobes ».
La FORSAT-civile dit avoir été au contact direct des populations locales sur le terrain, dans des zones parfois jugées inaccessibles, notamment de Koulikoro, Kati, Djo, Ségou, San, Mopti, Tombouctou, Gao, Sikasso, Koutiala, Bougouni, Bandiagara, Koro, et trouve ainsi que les propos de Mme Haïdara Aminata Dicko ne peuvent être que « mensongères ». Ces éléments témoignent à quel niveau les organisations de la société civile se sont désolidarisées de son engagement en considérant que ses propos sont assortis d’un manque de patriotisme et de refus de reconnaître la vérité et les efforts des forces de l’ordre et du gouvernement. Certains sont allés jusqu’à déposer plainte contre elle. L’exemple le plus éloquent en ce sens est le cas du Collectif pour la défense et des militaires (CDM). Ce Collectif a saisi le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Commune IV de Bamako.
Vu l’évolution des choses et l’étiquette que cela puisse coller au blason du pays sur la scène internationale, tout porte à croire que l’on peut estimer la réaction du gouvernement en termes de punition. Cette thèse est soutenue par des rumeurs circulant sur les réseaux sociaux stipulant qu’une affaire de justice pourrait se faire remarquer. Et aussi que la dame aurait trouvé refuge dans un lieu sûr lui permettant de rester à l’abri de toute manœuvre judiciaire de la part du gouvernement du Mali. En tout cas, il est crucial de se poser un certain nombre de questions. A cette allure quel serait l’avenir de la société civile malienne ? Doit-on repenser le dispositif d’organisation des séances d’examen de rapports trimestriels du Conseil de sécurité ? Peut-on effectivement parler d’instrumentalisation ? La notion de société civile au Mali est-elle répensable ?
Seydou BAMBA, Analyste politique.